"Vendredi 7 septembre 2012
Ma première semaine en IME se termine. Les élèves sont agités, bruyants, agressifs les uns avec les autres. J’ai tenté de mettre en place des apprentissages mais j’ai le sentiment que rien n’intéresse mes élèves.
Ce matin, j’ai sorti des cubes pour faire du dénombrement. Mais les élèves jouent avec, n’écoutent pas les consignes. Malgré mes injonctions fermes, Louis ne s’est pas assis à son bureau plus d’une minute, il a attrapé des boules en bois qu’il fait tourner en toupie par terre et a tenté plusieurs fois de se sauver de la classe. Marion se lève sans cesse et réclame l’ordinateur : «ordi », « ordi », « ordi », elle va fouiller dans les tiroirs de mon bureau. Je me fâche et lui ordonne de reprendre sa place. Elle fait mine de ne rien entendre. Je dois m’y reprendre à maintes reprises. Marion revient s’asseoir en pleurnichant. Victor et Jean ne cessent de répéter qu’ils ne veulent pas travailler. Victor tape avec les cubes sur la table. Jean les lance en l’air en criant. Marion s’est à nouveau levée et a attrapé les craies en profitant pour tracer des « dessins » au tableau. Eric ne cesse de dire « manger », « manger ». Akim, lui, aspire la peau de son bras frénétiquement en faisant le cri du cochon. J’ai le sentiment de devenir folle. La tête me tourne et je me demande quelle est ma place dans ce cirque saoulant.
Je range les cubes, ramasse les divers objets que les élèves ont fait tombé par terre : feutres sans capuchons, capuchons sans feutres, cubes et je tente de leur lire un album, Petit Lapin va à l’école. Leur attention est difficile à capter. Les bruits et cris fusent de toute part. Je ne me laisse pas impressionner et continue la lecture jusqu’au bout car Jean, malgré son manque d’attention apparent, a remarqué la présence du compagnon inséparable de petit lapin, le petit cheval qui fait de nombreuses sottises et qui paraît lui plaire. « Petit cheval, y fait beaucoup de bêtises » dit-il en souriant. Du coup, l’attention des autres élèves se fait sentir et les bruits diminuent significativement à mon grand soulagement.
La sortie en récréation est éprouvante. Les élèves n’ont d’autre souci que de se jeter sur les caisses de jeu de la salle attenante à la classe et n’écoutent aucune consigne de ma part. Ils vident les caisses semblant ne jamais trouver un jouet à leur goût. Le ton monte, mais rien n’y fait. Victor a attrapé Eric par le cou et le griffe au visage. J’interviens rapidement. Mais Jean pendant ce temps a attrapé son blouson qu’il fait tournoyer autour de lui au risque de blesser les élèves dans son sillage…
Pendant la récréation, les élèves semblent désoeuvrés. Ils ne jouent pas ensemble. Ils vont et viennent dans la cour. Louis s’est sauvé et je ne peux lui courir après étant dans l’impossibilité de laisser les autres sans surveillance. Heureusement, un éducateur passe par hasard et je lui confie mes élèves malgré ses réticences pour partir à la recherche de Louis qui est monté dans les étages chercher un camion et qui s’obstine à refuser de redescendre avec moi. Il hurle. J’essaie de nombreuses stratégies pour le convaincre de m’accompagner, sans succès. Je lui propose alors de faire une course de vélo imaginaire jusque dans la cour, ce qui lui convient à mon grand soulagement ! Je le laisse gagner et il semble content.
L’après midi parait s’annoncer encore plus difficile. Le passage par la salle de jeu n’invite pas mes élèves à entrer en classe. Il faut dire que les tentations sont grandes d’attraper le piano musical, de faire rouler les gros camions par terre, de démolir la maison en kit, de vider la caisse de cubes, d’allumer le poste de radio, de jeter les blousons au plafond. Des élèves qui semblent ne pas comprendre ce qu’ils font dans ce lieu, fatigués, excités…
Je suis exténuée mais pas déprimée. Je me dis que je manque simplement d’expérience avec ces enfants et que je vais bien trouver des solutions. J’y réfléchirai ce weekend."
Je suis toujours autant exténuée 5 ans plus tard et malgré l'expérience avec ces enfants la plupart du temps il n'y a aucune solution